Christian Bobin : Le Très-Bas

Des petits romans en noir et blanc, plein de couleurs ! Tout un trésor qui tient dans une poche ! Faire connaissance, relire, respirer les mots de Christian Bobin…Tu verras cela fait du bien.
Première proposition de Marie-José :
Le Très-Bas
Extrait d’une romance, celle du jeune François d’Assise. Une histoire qui dit la beauté des mères et la joie de l’enfant, qui dit qu’on peut négocier avec le Dieu de la bible, mais pas avec le Dieu nourricier de l’enfance, lui est la part non maîtrisée de l’éducation, c’est la part de l’infini…
« ….je ne vous demande pas d’être parfaits. Je vous demande d’être aimants, ce qui n’est pas la même chose, ce qui est si peu la même chose, que c’en est tout le contraire. Et puis dire à tous, brutalement : au fond je ne sais trop de quoi je parle quand je parle de Dieu. Je parle sans savoir. Comment vous, qui prétendez m’entendre, pourriez-vous là-dessus être plus savants que moi ? Vous dites m’accompagner et vous perdez mon cœur. Vous dites m’aimer et vous m’assombrissez. Vous faites plus de chahut que tous les oiseaux de la forêt—et rien sur vos lèvres qui ressemble à un chant. Celui qui chante brûle dans sa voix. Celui qui aime s’épuise dans son amour. Le chant est cette brûlure, l’amour est cette fatigue. Je ne vous vois ni brûlés ni épuisés. Vous attendez de l’amour qu’il vous comble. Mais l’amour ne comble rien—ni le trou que vous avez dans la tête, ni cet abîme que vous avez au cœur. L’amour est manque bien plus que plénitude. L’amour est plénitude du manque. C’est, je vous l’accorde, une chose incompréhensible. Mais ce qui est impossible à comprendre est tellement simple à vivre…..
Viens une heure où ce qu’un homme a construit de sa vie se referme sur lui et l’étouffe. Tu croyais « faire » ta vie et voilà que ta vie te défait. C’est une telle infortune qui attend François d’Assise à son retour de Palestine. Tu avais dans ton cœur de quoi brûler le monde. Tu n’as fait qu’inventer un ordre religieux de plus. Et c’est déjà beaucoup… »
photo : www.sxc.hu