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Le livre de la Genèse raconte les mésaventures de Jacob lorsqu’il courtisa Rachel, celle qu’il aimait. Il dut travailler sept ans pour Laban, le père de Rachel, afin d’obtenir sa main. Mais Laban trompa Jacob, lors de la cérémonie, en substituant Léa, sa sœur aînée, à Rachel. Dupé, Jacob se trouva donc marié à Léa. Puisque la polygamie était une pratique courante, Jacob décida d’épouser aussi Rachel, après sept autres années de travail pour Laban. Ce préambule insolite se trouve au chapitre 29 de la Genèse. Cependant, j’ai choisi la suite, un peu moins connue, de ce récit. On y raconte comment Laban essaie encore de duper Jacob qui s’en sort par des pratiques génétiques saugrenues.

 

 

Dès que Rachel eut enfanté Joseph, Jacob dit à Laban : « Laisse-moi partir pour aller chez moi, en mon pays. Donne-moi mes enfants et mes femmes, celles pour lesquelles je t’ai servi, et je m’en irai. Tu sais bien quel travail j’ai fait à ton service. » Laban lui dit : « Si j’ai donc trouvé grâce à tes yeux… J’ai appris par divination que le SEIGNEUR m’a béni à cause de toi. » Laban reprit : « Fixe-moi ton salaire et je te le donnerai. » Il lui répondit : « Tu sais toi-même comme je t’ai servi et ce qu’est devenu ton cheptel avec moi. Ton bien n’était que peu de chose avant moi, il s’est étonnamment accru sous ma direction et le SEIGNEUR t’en a béni. Et maintenant, quand travaillerai-je, moi aussi, pour ma maison? » Laban dit : « Que te donnerai-je? » – « Tu ne me donneras rien, répondit Jacob. Si tu m’accordes ce que je vais dire, je reviendrai paître et garder tes moutons. Je passerai aujourd’hui à travers tout le petit bétail et j’en retirerai tout agneau moucheté ou tacheté – toute brebis féconde parmi les moutons – toute chèvre tachetée ou mouchetée, et ce sera mon salaire. Demain, lorsque tu viendras vérifier mon salaire, tout ce qui ne sera pas moucheté ou tacheté parmi les chèvres et – fécond – parmi les moutons me convaincra d’injustice; ce sera chez moi du vol. » Laban dit : « C’est bien, qu’il en soit comme tu l’as dit. »

Ce même jour, Laban retira les boucs rayés et mouchetés, toutes les chèvres tachetées et mouchetées; tout ce que Laban eut saisi – et les bêtes fécondes parmi les moutons – il le confia à ses fils et il mit trois jours de marche entre lui et Jacob.

Jacob faisait paître le reste du troupeau de Laban. Il se procura de fraîches baguettes de peuplier, d’amandier et de platane. Il y fit des raies blanches en mettant à nu la couche d’aubier des baguettes. Il exposa les baguettes rayées en face des bêtes dans les auges des abreuvoirs où les brebis venaient boire; elles entraient en chaleur quand elles venaient boire. Les bêtes s’accouplaient devant les baguettes; les femelles mettaient bas des petits rayés, mouchetés ou tachetés.

Quant aux moutons que Jacob mit de côté, il les orienta vers ce qui était rayé – tout ce qui était fécond dans le troupeau de Laban – et il se constitua des troupeaux séparés qu’il ne mit pas au compte des bêtes de Laban. Chaque fois que les bêtes robustes du troupeau s’accouplaient, Jacob mettait les baguettes sous leurs yeux, dans les auges, pour qu’elles s’accouplent devant les baguettes; il ne les mettait pas quand il s’agissait de bêtes chétives. Les bêtes chétives étaient pour Laban et les robustes pour Jacob. (Genèse 30,25-42)

 

Pour tirer son épingle du jeu, Jacob accouple les bêtes qui ont des baguettes rayées dans leur champ de vision. Ainsi, il obtient des petits rayés, mouchetés ou tachetés qu’il pourra prendre avec lui.

Bien entendu, la génétique – et le sens commun – nous disent que ces techniques sont impossibles. Vous avez beau faire comme Jacob et vous placer devant des animaux en train de s’accoupler pour leur montrer des images rayées, celles-ci ne peuvent pas affecter le patrimoine génétique qui détermine le pelage des bébés.

 

 

Miracle?

Devant ce texte, deux options s’offrent à nous. D’une part, nous pouvons comprendre cette expérience comme un miracle. De cette façon, Dieu rend justice à Jacob, trompé par son beau-père. D’autre part, nous pouvons supposer que les anciens croyaient vraiment que ces techniques pouvaient être efficaces. La deuxième option semble être la meilleure puisque rien d’autre dans le texte n’oriente vers une intervention divine. De plus, le récit de Jacob chez Laban montre sa ténacité et sa façon de s’en sortir par lui-même, malgré les multiples embûches qui entravent son parcours. On peut donc conclure que Jacob fait office de modèle de celui qui se tire d’affaire par son astuce et son travail.

 

 

 

Déjouer le système

Ce récit présente deux personnages qui tentent diverses machinations pour escroquer l’autre et avoir leur dû. Dans la vie, plusieurs occasions de flouer quelqu’un peuvent se présenter. La meilleure illustration de ce phénomène est sans doute la télésérie à succès Les Bougon. Elle mettait en scène une famille montréalaise vivant de l’aide sociale et gagnant sa vie en fraudant les riches et le système, un système qu’elle considérait comme pourri. Satire de la société québécoise actuelle, cette série a montré que la fraude et la manipulation sont généralisées et qu’elles peuvent fonctionner.

Le problème est que frauder le système, c’est se frauder soi-même. Je suis fier de payer mes impôts : c’est une façon de se donner des ressources collectives. Mais il faut avoir confiance en l’intégrité de l’appareil gouvernemental et croire qu’il utilise l’argent à bon escient. Or, au Québec, la commission Charbonneau a montré qu’il y a eu beaucoup de corruption autour de l’attribution de contrats des travaux publics. L’histoire a une fâcheuse tendance à se répéter : comme Laban et Jacob, tout le monde tente de « tirer la couverture de son côté ».

 

Sébastien Doane, professeur d’exégèse biblique à Laval (Québec)

 


Source : Interbible


Extrait de : Sébastien Doane, Zombies, licornes, cannibales… Les récits insolites de la Bible, Montréal, Novalis, 2015.

 

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